Dystopie, l’art au service de la conscientisation

Une dystopie est un récit de fiction dépeignant une société imaginaire organisée de telle façon qu’il soit impossible de lui échapper et dont les dirigeants peuvent exercer une autorité totale et sans contrainte de séparation des pouvoirs, sur des citoyens qui ne peuvent plus exercer leur libre arbitre.

Une dystopie peut également être considérée, entre autres, comme une utopie qui vire au cauchemar et conduit donc à une contre-utopie ; l’auteur entend ainsi mettre en garde le lecteur en montrant les conséquences néfastes d’une idéologie (ou d’une pratique) contemporaine. De fait, la différence entre dystopie et utopie tient davantage à la forme littéraire et à l’intention de son auteur qu’au contenu : en effet, nombre d’utopies positives peuvent également se révéler effrayantes.

Le genre de la dystopie est souvent lié à la science-fiction, mais pas systématiquement, car il relève avant tout de l’anticipation. Ainsi, l’impact que ces romans ont eu sur la science-fiction a souvent amené à qualifier de dystopie toute œuvre d’anticipation sociale décrivant un avenir sombre.

Les mondes terrifiants décrits dans ces romans ont souvent tendance à faire croire qu’une dystopie est, par définition, la description d’une dictature sans égard pour les libertés fondamentales. Il existe cependant des contre-exemples et la critique est divisée quant aux relations entretenues entre la dystopie et les régimes politiques qu’elle vise. Que la dystopie soit par nature une critique d’un système politique ou idéologique précis (et en particulier une critique du totalitarisme) est un point qui demeure débattu dans les milieux universitaires (*)

Cette forme littéraire a été popularisée par des romans devenus des classiques du genre dystopiques : 1984 de George Orwell (1949), Fahrenheit 451 de Ray Bradbury (1953), Soleil Vert de Harry Harrison (1966), plus récemment encore, Cadavre Exquis de Agustina Bazterrica (2019), Chien 51 de Laurent Gaudé (2022) amenaient à le devenir aussi.

Cette définition fournie par Wikipédia me semble particulièrement complète et montre à quel point la notion de dystopie comporte plusieurs entrées et qu’elle est un style littéraire avec une identité forte.

Le genre s’est depuis démocratisé et étendu à d’autres formes d’arts, le cinéma, mais aussi le jeu vidéo, c’est le cas de l’excellent « Cyberpunk 2077 » dont il sera en partie question ici.

Le jeu vidéo s’est démocratisé.

Ces dernières années il est devenu le premier média en termes de poids économique pesant autant que l’industrie du cinéma et de la musique cumulée. En année 2022 son chiffre d’affaire est de 6,1 milliards d’euros.

Il est même devenu un enjeu géopolitique. La Russie de Poutine, sanctionnée suite à l’invasion de l’Ukraine, table sur la création d’une console de jeu vidéo propre au pays afin de lutter contre l’influence occidentale.

D’ailleurs il (le jeu vidéo) est devenu un objet d’observation et d’étude de la part des sciences sociales notamment, il n’y a qu’à voir le travail réalisé par exemple par la doctorante réunionnaise Morgane Andry sur les valeurs humanistes dans les jeux vidéos multijoueurs pour s’en convaincre.

Il est aussi devenu un objet politique. Souvenons-nous de la polémique suscitée par la réinterprétation du personnage de Robespierre dans le jeu « assassin’s creeds » dédié à la Révolution française. Les députés de la France Insoumise étaient montés au créneau pour dénoncer une interprétation qu’ils jugeaient fallacieuse de ce personnage historique.

Ce n’est pas la première fois que le jeu vidéo sert de base à la critique sociale et politique, des jeux comme Bioshock décrivait déjà l’échec d’une utopie transhumaniste perdue dans les profondeurs de l’océan, devenue un cauchemar pour ses habitants touchés par la folie à force d’expérience et de modifications génétiques.

La narration permet au joueur d’avoir accès à des audios décriant le capitalisme, l’utopie communiste et la place du christianisme, le scénario se déroulant dans les années 60.

Cyberpunk s’avère différent, il est sensé se dérouler dans un futur plus ou moins proche, en 2077.

Dans ce monde-là, les multinationales se sont substituées aux Etats-Nations, les transnationales devenues des mégacorporations font désormais la loi.

Le citoyen a laissé la place aux consommateurs, devenu l’alpha et l’oméga d’une société plongée dans la publicité permanente.

Le temps de cerveau disponible ne l’est plus que pour la consommation à outrance.

Faire de l’argent, survivre en sont les principes directeurs. La couverture médicale dépend des moyens financiers de chacun, le numérique contrôle tout. La biotechnologie permet aux hackers de prendre possession de toutes vos données et même de votre corps cybernétique.

Tout semble irréel. Le monde du vivant a disparu. Plus de faune, plus de flore. La viande même est de synthèse, comme tout semble dorénavant l’être.

Le transhumanisme et l’intelligence artificielle sont au cœur de cette société dystopique comme en écho et en clin d’œil à nos peurs actuelles, avec l’émergence d’outils comme ChatGTP qui demain manifestement bouleversera notre rapport au monde et notre façon de vivre dans le monde.

Le transhumanisme quant à lui fait l’objet de nombreux fantasmes. La crise du COVID et la vaccination obligatoire a fait émerger la peur de biomanipulation, puçage, traçage de la 5G…

D’ailleurs, ce que dénoncent les complotistes, c’est la fin des sociétés humaines et démocratiques et le contrôle absolu des libertés fondamentales par des entités privées, grands groupes économiques hors de contrôle.

L’écologie ainsi est perçue comme étant l’accomplissement d’un vaste complot mondial visant la dépopulation et la fin des libertés individuelles sous couvert de sobriété énergétique.

Les relations sociales sont dénuées de liens de confiance. Les valeurs morales et éthiques semblent avoir disparu. C’est la fin de l’Histoire et des idéologies.

Dans cyberpunk, l’augmentation humaine par l’ajout de biotechnologie transforme peu à peu les humains en cyborgs et redéfinit ce qui définit l’être humain. Les personnages se font des transplants et augmentent leurs capacités au prix très souvent de leur santé physique, mentale et à la fin au prix de leur vie.

Sur la question de l’IA, elle ne pourra jamais remplacer l’humain, car elle n’est pas confrontée aux limites physiques et psychiques du monde du réel.

De notre expérience du réel, nous pouvons établir une philosophie de l’action que ne pourra jamais faire une IA, si ce n’est dans un parfait mimétisme éloigné de la vérité.

Peut-elle réfléchir sur ce qui est la mort, les émotions, l’empathie, la morale, l’éthique ? Non.

Dans Cyberpunk, tout est superficiel : la vie, les relations sociales et amoureuses.

Difficile de trouver une quelconque quête de sens. Même la mort semble avoir été domptée et dépassée pour ceux qui s’en donnent les moyens.

La profondeur et la spiritualité semblent avoir totalement disparu du monde.

C’est le « Dieu est mort » nietzschéen : l’homme moderne, le progrès technique ont mis fin à la religiosité.

Le surhomme cybernétique ne croit plus qu’en l’Homme et a relégué Dieu aux oubliettes de l’Histoire.

Par moments, lorsque la narration ralentit, les personnages s’interrogent : Sur la mort, sur les conséquences de leurs actes, sur l’existence de Dieu.

On peut faire le parallèle avec « Chien 51 » de Laurent Gaudé, dans lequel la Grèce, berceau de nos humanités et de la Démocratie, s’est vue dépecée de ses biens communs jusqu’à ne devenir qu’une province partagée entre grands groupes transnationaux.

Le traumatisme de 2010 est toujours présent en filigrane : la crise économique a mis à genoux l’économie grecque qui a fini par vendre ses ports, ses monuments, son pays.

Deux typologies de grands groupes dominent que ce soit dans « Cyberpunk » ou dans « Chien 51 », l’armement et la pharmaceutique, intimement liés qu’ils sont par des intérêts et des réseaux mutuels.

D’ailleurs, dans ces deux utopies, le politique a totalement disparu. La politique n’est que faux semblant. Si des élections semblent être organisées, par exemple dans « Cyberpunk », les candidats sont ceux désignés par les grands groupes. Simulacre donc.

Le citoyen est réduit à néant, comme plongés en léthargie. Une pièce de théâtre où le metteur en scène est caché et où toutes les décisions se décident ailleurs et par avance.

L’information, dans un monde hyperconnecté est la vraie richesse : goût, psychologie sociale, comportement sont à la portée de hackers rémunérés par ces mégas entreprises pour orienter, influencer les gens.

Le monde décrit est volontairement choquant, les auteurs veulent nous alerter, nous choquer, nous « réveiller », nous faire réfléchir.

Prenons garde, une société sans le politique, sans la Démocratie, sans le citoyen, est une société sans libertés, sans espace commun, sans humanité. Une société où seule règne la loi du plus fort, une société à l’encontre donc de toutes nos aspirations à mieux vivre ensemble

La dystopie a cette force qu’elle trace des possibles, dénonce les idéologies et les systèmes politiques.

L’art et la culture sont donc des moyens de penser notre monde, nos idées, avec nos forces et nos faiblesses. Leur défense est inhérente à la Démocratie.

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